Samedi 26 juin 2010, les Amis de Rimbaud recevaient Alain Borer pour une conférence intitulée "Rimbaud, l'heure de la fuite". Affluence record dans un des salons du Procope, où, nous apprend Borer au début de son intervention, il retrouvait déjà quelques dizaines d'années auparavant, un cercle de rimbaldiens, dont certains d'entre eux ont depuis publié des ouvrages consacrés au poète.
Alain Borer est tout à la fois conférencier et comédien ce 26 juin. Il déclame, il interpèle, au besoin il réveille quelques personnes de l'auditoire assoupies par la chaleur insupportable de l'après-midi.
Le début de l'intervention est assez pénible : il passe en revue toutes les têtes connues - de lui- présentes dans le salon et trouve des qualificatifs plus élogieux les uns que les autres pour leur plume ou leur esprit. Une vingtaine de minutes plus tard, changement de ton. Il ne s'agit plus louanges mais de boulets rouges : Borer s'emporte dans des attaques qui n'ont, à l'accoutumée, pas leur place dans les réunions mensuelles des Amis de Rimbaud. Sa première cible est Jean-Jacques Lefrère : ses écrits ne sont pas à la hauteur d'un bon rimbaldien : "il devrait lire les phrases" ! Lefrère serait un marketeur plus qu'un connaisseur de l'oeuvre de Rimbaud. Du reste, le portrait présumé de Rimbaud récemment dévoilé n'est qu'une opération destinée à faire connaître et vendre le dernier livre de Lefrère. Le ton est virulent. Dans la salle, quelques têtes se secouent pour marquer leur désapprobation.
Puis c'est au tour de Claude Jeancolas de subir les sarcasmes de Borer : pour rien au monde Borer n'ira visiter l'exposition Rimbaudmania. Il fustige l'exhibition de strings à l'effigie de Rimbaud - oubliant au passage qu'il y a également des manuscrits d'exposés, et que la démarche de Jeancolas n'est pas d'expliquer l'oeuvre de Rimbaud, mais d'explorer le mythe qui s'est construit autour du poète, et ce dans différents champs de l'art (musique, opéra, littérature, peinture, mode, etc).
Enfin, c'est au tour de Steinmetz et d'Etiemble d'en prendre pour leur grade. Borer a un problème avec le mythe, il prétend également qu'il combat les vérités imposées par quelques biographes, passés maîtres dans l'art du "biographisme" mais ne semble pas comprendre qu'il participe aux travers qu'il dénonce. Il critique l'adulation des images et des objets mais avoue avoir acheté des fusils en Afrique qui auraient pu être vendus par Rimbaud. Les attaques sont un peu déroutantes et gratuites, elles continuent de mettre mal à leur aise quelques-uns, malgré les applaudissements qui résonnent lorsque sont abordés les doutes qui planent sur la photo de Rimbaud récemment découverte qui le présente en compagnie de quelques bourgeois sur la terrasse de l'hotel de l'Univers.
J'ai beau ne pas partager les dénonciations de Borer, j'aime son style piquant : il tranche avec le conformisme des Assis - pardon, des Amis de Rimbaud.
La deuxième partie de la conférence est de bien meilleure qualité. Nous visionnons un extrait d'un film qu'a réalisé Borer, diffusé en 1978 sur TF1. L'on y découvre Emilie Rimbaud, fille de Frédéric et nièce d'Arthur. Elle parle de la terrible "mother", qui était méchante avec elle et aussi avec Arthur, ce qui explique d'après elle, que "c'est pour ça qu'il n'a pas réussi si bien" (sic) !
Le reste de la conférence consiste en une démonstration convaincante : l'oeuvre et la vie de Rimbaud, loin de s'opposer, font complètement sens et peuvent se résumer, ou plutôt font écho aux derniers mots de "Vagabonds" : "moi, pressé de trouver le lieu et la formule".
Pressé : Rimbaud l'est en effet dans son écriture et dans sa vie. Il est un marcheur infatigable : oui, la marche est au coeur du système Rimbaud (d'autres parlent de "danse").
Trouver : le grand verbe du XIXe et de la science n'est pas sans rappeler Baudelaire, qui, dans le Voyage, veut "plonger au fond de l'inconnu pour TROUVER du nouveau".
Le lieu : toujours présent dans les écrits de Rimbaud : il parcourt le monde et en témoigne dans ses lettres : il est toujours quelque part ou en route pour un ailleurs : les lieux sont multiples et omniprésents.
La formule : c'est le moyen poétique mais aussi l'expression, la position, la bonne métaphore, la description juste à découvrir.
Borer conclut que toute la correspondance de Rimbaud, de 1870 à 1891, reprend chacun des éléments de cette phrase : "pressé de trouver le lieu et la formule". Tournée dans tous les sens, la logique est imparable, la démarche constante.
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